vendredi 3 juillet 2015

un été impossible

Un été impossible 

Ma mère qui avance vers son septennat comme bien d’autres grands-mères de son age, s’alphabétise et découvre les bancs d’école. Pour certaines, leurs parents leurs avaient refusées ce privilège et pour d’autres contraintes à quitter tôt pour cause de la guerre et de la misère.

 Elles prennent leurs revanches sur le destin et sur le temps. Les voilà toutes fières, naïves et sereines prendre le chemin de l’école du village ou de nouvelles et jeunes maîtresses à peine sortis des universités, leurs diplômes frais, offrir des cours élémentaires de langue arabe et de calcul à ces novices toutes ébahies enchantées. Cela leur permet de combler leurs oisivetés et d’arrondir leurs fins de mois mais surtout ne pas rester cloîtrées à perpétrer la tradition.

 En bonnes élèves, dans ce plaisir génial , ces vielles femmes studieuses, les affaires soigneusement rangées dans leurs cartables et sacs s’appellent de portes en portes pour former une meute qui s’allonge au fil du chemin pour aller apprendre à lire et à écrire.

 Avant elles s’y connaissaient bien aux corvées d’eau à la fontaine, se querellaient pour quelques seaux d’eau, nourrissaient leurs amours et jalousies, leurs rancunes et leurs alliances en ce lieu sacré dont il ne reste plus l’empreinte. Dans cette agora, on y venait raconter ses peines, ses joies et ses belles manières. On écoutait les nouvelles et les médisances sur une telle ou une autre, sur la bru, la nièce la cousine, on pouvait suivre les grossesses et les naissances, parler de mariages, de répudiation, du temps perdu, des nouvelles de la tribu et son épopée et aussi de la nuit qui fut douce ou longue selon les démêlées ou et la mauvaise destinée.

 Après on demandait à la voisine le tamis pour affiner, le petit oignon pour le souper, le petit bout de ce qu’elle avait à partager de son jardin potager …Elle nous l’offrait le cœur ouvert et le sourire large et profitait pour dire ses espoirs, sa foi, ses haines et méchancetés et parler de bien d’intimités. Le soir, au coin du feu, quelques bûches d’olivier résistent encore pendant que l’ogresse du conte fait allonger le rideau noir d’une nuit peuplée de rêves et de mystères on attendant le même lendemain qu’annonce dès l’aube le chant du coq et le muezzin. Chaque saison cadre à l’unisson son rythme immuable et plat avec l’horloge du temps qui se régénère en floraisons, en divers murmures. Nous y sommes dans un univers ou tout à une âme. Les esprits parlent, protègent et punissent. 

 Mais là au comble de l’aberration du devenir, elles découvrent le nouveau monde, l’univers de leurs petites filles qui ont connu l’école émancipatrice les libérant des esprits malicieux et malveillants, elles se sont affranchies aussi des corvées d’eau et travaux aux champs et mêmes de simples besognes domestiques qui leurs ravissaient leurs temps et salissaient leurs mains de princesses embourgeoisées. 

 Leurs petites filles pouvaient leurs apprendre pleines de choses et s’en prendre aisément aux interdits. Elles profitent de leurs beautés et même la montrer, la clamer, choisir le mari et le quitter s’en allant légère et non encombrée, craquer, à plein dents, la vie jusqu'à en casser. Faire en sorte d’avoir tout sans en donner. Avoir le cœur rien que pour soi et le sourire à la portée. 

 Pourquoi se prendre au sérieux, s’affairer à moudre le grain, à rouler le couscous, à pétrir sa galette, traire sa brebis ou sa chèvre, à couper les cardes à connaître ses noms d’oiseaux chanteurs, de plants et de fleurs ou écouter son coq matinal, ramasser les œufs dans sa basse-cour ou piocher son petit jardin à donner le foin aux bêtes et lever le métier avec ce chant qui vous roue la gorge de transes et complaintes. 

 Que de peines perdues. Après coup, tout se vend et tout est y au marché avec de jolies marques et de noms composés. Il faut juste le sou qui semble être à la portée. Mais à quel prix. Et ma mère en y rentrant des classes n’a plus, désolée, le temps pour ses anciennes absurdités, elle y achète son couscous, son lait, ses cardes, ses œufs et ses oignons, sa couverture, sa robe …Et quand elle se rappelle de sa maîtresse, alors elle ne fait rien .Elle regarde la télé, écoute la radio et laisse le temps passer. Laisser tout passer, pour se rendre à l’évidence qu’il fallait réviser ses leçons pour la prochaine, griffonner quelques lignes et surtout ne pas décevoir. Elle se prépare pour passer en classe supérieure. 

 Elle pense remonter le fil de sa jeunesse tel le burnous sur son métier à tisser qui prends une forme diffuse entre maintes mains et sueurs que la blancheur de la laine fait oublier à lui rendre l’orgueil d’être libre et heureuse. 

 En passant quelques jeunes oisifs contemplent vaguement le décor sans pouvoir y distinguer le passage étroit foulé de cette ruelle jadis poussière recouverte de béton mal façonné d’un gris opiniâtre et fade qui ne renvois à aucune illusion . La pierre lourde imposante cède, ici et là, à la facilité d’un bâti éparpillé ; Ils prennent part à un univers fictif ou tout semble dérisoire, anodin. Les fils écouteurs alimentent les oreilles d’un bourdonnement sans relâche et laissent échapper une impression étrange d’un éveil mal entrepris. D’autres s‘amusent à divaguer sur tout et rien en parlant d’un univers matériel sans cesse renouvelé auquel il n’ont jamais contribué.

 Loin de la djamaa, Les champs en jachères avoisinants, sans intérêt presque imperceptible renvoient leurs tons naturels désolés à l’adresse de ceux qui les ont abandonnés. Ils ne nourrissent aucun discours. 

 Dans ce mouvement d’attente sans espoir se croisent les nouvelles de ceux qui sont partis sans anecdotes ni mémoires à recouvrer. Partir c’est mourir un peu ; La mort a tout emporté dans son gigantesque torrent. Sur les flots qui y sont formés aucun mot sur la continuité. Il ne s’agit plus de dire qui est qui, ni de conter les méandres subtilités d’un vécu dont on ne veut plus écouter. Souffrances à qui en voudra là ou chaque être se crée une identité suffisante à sa misère. 

 Dans cette belle compagne dont le charme se tue, des vents sans noms caressent le feuillage et les herbes folles. Les moineaux et les merles annoncent un été impossible.

vendredi 12 août 2011

Un usurpateur etrange

Les faits remontent aux années 1951/1953, période durant laquelle un lopin de terre a fait l’objet d’une donation au profit des habitants du village Lemecela qui ont procédé, à cette époque même au forage d’un puits. Celui-ci donc a alimenté tout le village de Lemcela jusqu’à l’année 1992, date de la création de l’association Tafat qui a vite procédé à sa réfection, et ce par des actions de volontariat. A la fin de l’année 2005, le bienfaiteur vend sa parcelle de terre sur laquelle se trouve le puits sans que celui-ci ne fasse partie de cette vente, d’après certains témoignages de personnes âgées. Selon une pétition qui nous a été remise et des éléments d’information fournis par l’association Tafat, “le puits en question est exclusivement propriété du village et ne peut en aucun cas faire objet de vente ou d’expropriation”.

En attendant le jugement qui sera rendu incessamment au sujet du litige opposant le nouveau propriétaire de la parcelle de terre et les habitants du village, ces derniers sont privés de l’alimentation en eau à partir du puits, “leur appartenant” et ce, depuis janvier 2006. Dans l’attente de voir cette affaire suivie d’un dénouement, l’association reste déterminée à récupérer “son bien” tout en étant confiante du verdict qui sera rendu.

A.L
In la dépêche de Kabylie du 30 mars 2006

jeudi 24 février 2011

notre artiste younes se confie a l'expression

YOUNÈS BENYAHIA, ARTISTE-PEINTRE ET CALLIGRAPHE, À L’EXPRESSION

«Au service de l’identité berbère»

22 Février 2011



Il est né en Kabylie, a suivi des études artistiques à Constan-tine, puis à l’Ecole des beaux-arts d’Alger. En l’an 2000, déçu par une atmosphère qui ne lui semblait pas assez propice pour lui permettre d’évoluer dans son art, il décide de quitter l’Algérie pour aller «là où les perspectives de réussite et l’espace de création étaient favorables.» Il atterrira en France, connaîtra un peu la galère des nouveaux débarqués, mais son talent, sa persévérance, sa volonté de montrer ce dont il était capable et son envie de faire connaître et partager ces richesses héritées du patrimoine berbère et transmises par les ancêtres, feront en sorte de lui baliser le terrain et lui ouvriront les portes d’un domaine tout en beauté et en richesse, où le brassage des cultures fait des merveilles. Fier de son identité berbère, Younès Benyahia ne s’y enferme pas, bien au contraire, il s’en sert pour s’ouvrir au monde et la faire connaître. Aimant les couleurs, le partage et l’art, il les utilise admirablement pour exprimer les jolis tons de sa Kabylie natale à travers ses oeuvres, et en donnant des cours de calligraphie ou en organisant des ateliers de peinture, lieu de partage et d’échanges, où le maître mot est l’art, quelle que soit son identité et dans toute sa splendeur...



L’Expression: Parlez-nous un peu de votre parcoursYounès Benyahia: Parler de mon parcours est un exercice assez habituel, ce n’est pas en raison du fait que je suis confronté tous les jours à des journalistes qui me traquent, tellement je suis connu et reconnu, mais c’est simplement un ego d’artiste qui aime bien présenter son modeste chemin de vie, oh! combien riche en surprises, rencontres, trouvailles, illusions et désillusion... et pour ça, je dirais que la richesse d’une oeuvre et sa valeur en beauté n’ont d’égal que le vécu de son créateur. Après un «calage» en terminale pour la seconde fois, j’ai décidé de rentrer aux Beaux-Arts sur le conseil d’un ami qui avait été aussi mon professeur de dessin au lycée.

Les hauteurs d’Azazga, à Tizi Ouzou, offraient un cadre idéal pour la création, dans les anciens chalets abandonnés de l’époque coloniale. J’y ai passé l’année scolaire 1992/1993, c’était la deuxième année d’existence de cette école et sa dernière jusqu’à sa réouverture en 1999. A la fermeture de l’Ecole des beaux-arts d’Azazga, je me suis inscrit à l’Ecole de Constantine où j’ai pu terminer mes études.

En 1997, je me suis inscrit à l’Ecole supérieure des beaux-arts d’Alger, jusqu’en 2000 où j’ai interrompu mes études pour partir en France, là où les perspectives de réussite et l’espace de création étaient favorables.



Quels sont les moments forts de ce parcours?

Les moments les plus marquants sont, certainement, pendant l’année que j’ai passée aux Beaux-Arts d’Azazga. C’était tout nouveau pour moi. Le cadre était agréable et les difficultés rencontrées à cette époque, lors de mes études (absence de moyens pédagogiques et financiers), ont donné un goût particulier à mes débuts dans ce milieu.

Constantine a aussi été une étape importante pour moi. C’était la première fois que je me retrouvais dans une grande ville et pas n’importe laquelle, la ville du Rocher et des Ponts suspendus. C’était tout simplement magnifique, à Constantine...

J’ai pu y rencontrer d’autre talents venus d’autres régions d’Algérie, et pour la première fois aussi, je me rendais compte des différences culturelles qui faisaient la richesse de mon pays.



Parlez-nous de votre travail dans l’association Awal Grand Lyon?

En arrivant en France, j’ai commencé à réaliser des petits formats (paysages, portraits et calligraphies) pour pouvoir vivre. C’est ce qui m’a fait connaître l’association «Awal Grand Lyon», et bien d’autres associations qui oeuvrent dans le domaine culturel et social, pour faire découvrir la culture berbère en général et algérienne en particulier, à travers des ateliers organisés à l’occasion du Printemps berbère, et de nombreux autres programmes relatifs aux «Découvertes berbères».

En 2005, j’ai organisé, en collaboration avec cette association, un atelier-découverte de

l’architecture de la maison kabyle», à travers lequel on avait réalisé une maquette avec des enfants issus de l’immigration.

Depuis 2 ans, chaque année, je suis invité par l’Union des familles musulmanes à Marseille pour célébrer la fête de l’Aïd à travers des ateliers de calligraphie berbère, en compagnie d’autres artistes, calligraphes, auteurs, cinéastes, écrivains...



Pourquoi ce choix de l’abstrait dans vos oeuvres?

Pourquoi l’abstrait? En cherchant bien, pourquoi j’en suis venu à faire de la peinture abstraite, je replonge dans mes souvenirs d’enfance, quand je contemplais la texture d’un mur irrégulier, une porte usée par le temps, des formes de nuages qui changent, des rochers qui, parfois, prennent des formes d’animaux ou tout simplement des formes qui ne m’évoquaient rien. Ceci alimentait mon imagination, mais pas encore ma créativité, car je n’avais pas encore la notion de l’art.

Avant de passer aux créations abstraites, ma formation aux Beaux-Arts était académique, ce qui m’a mené à faire beaucoup de peintures figuratives, à l’époque de ma scolarité, pour avoir de l’argent de poche, ainsi qu’à mes débuts en France pour subsister. Ma collaboration avec des associations telles que «Awal Grand Lyon» m’a amené à faire découvrir l’écriture berbère (le tifinagh) et les symboles berbères à travers le tatouage, la tapisserie, et d’autres domaines de l’artisanat, ainsi que les dessins rupestres.

De là, mon travail a évolué vers une composition de plus en plus abstraite où je garde juste l’essentiel de ce que j’ai aimé comme impressions données par ces textures de murs irréguliers, ces paysages architecturaux, ces firmaments aux lumières changeantes.



Avez-vous un message à transmettre à travers vos oeuvres?

Mes oeuvres ne transmettent pas un message particulier, si ce n’est ma vie, à travers tous ses états et sensations qui évoluent constamment. Je donne aussi des cours de dessin, de peinture et j’anime des ateliers dans le but de faire découvrir certains aspects de ma culture, et de partager la passion de créer.



Pourquoi ces couleurs trop vives, puis atténuées?

Ma vision des couleurs vives correspond, en quelque sorte, à des sensations plus ou moins fortes, ou des sons plus ou moins aigus ou graves. C’est aussi un moyen de communication percutant et même qui pourrait être, dans certaines situations, agressif, et manquant de tempérance. L’harmonie est, dans une certaine mesure, la sagesse de ne pas interpeller par la force du contraste ou de la couleur, mais par la douceur et le repos que procure la lecture de cette dernière.



Pourquoi ce thème récurrent de la ville et l’utilisation des formes?

Etant donné que je suis né et que j’ai grandi dans un petit village reculé des montagnes de Kabylie, j’ai découvert la ville très tardivement et ce n’est pas n’importe quelle ville. C’est Constantine, la capitale de mes ancêtres, avec son histoire, son architecture, ses ponts, ses contrastes. Les formes utilisées (carré, courbe, ou demi cercle) sont les plus représentatives et à la fois abstraites. Représentatives parce que ce sont les formes qui composent toutes les constructions. Et abstraites, parce que c’est l’abstraction même de toutes ces constructions une fois décomposées. Entre le ciel et ces architectures, on trouve dans toutes les cultures et dans toutes les villes des formes qui, souvent, se rapprochent (minarets, clochers, flèches, pyramides) et qui montent vers une unité.



Avez-vous exposé en Algérie?

Mes seules expositions en Algérie remontent à l’époque où j’étais étudiant, expositions collectives avec d’autres étudiants des Beaux-Arts.



Un dernier mot?

Je ne perds pas mon souhait de voir, un jour, mes toiles accrochées sur les murs de galeries d’art de mon pays, comme celles de tant d’autres artistes.

Samira BENDRIS


lundi 20 décembre 2010

jeudi 13 mai 2010

Un entretien avec Djamal Arezki :Akal d Wawal

Pour Djamel Arezki, écrivain de talent, écrire dans sa langue maternelle, celle apprise dans son milieu naturel, ainsi que ce travail qu’il faut réaliser pour redonner encore vie à cette langue plusieurs fois séculaire. Dans cet entretien, Djamel Arezki revient sur son penchant vers l’écriture, ses projets et surtout son regard sur un monde aussi vaste que la littérature, et notamment celle liée directement à sa culture, taqbaylit.

La Dépêche de Kabylie : Comment vous est venue l’idée d’écrire et de publier ce premier livre ?
Arezki Djamal : Et bien, ce livre est le fruit d’un travail de recueil assez ancien. Avec le temps, j’ai senti la nécessité de mettre un peu d’ordre dans tout ce que j’avais dans le tiroir. Livrer ces histoires de façon brute ne me chante pas. J’ai réfléchi à la façon de les présenter au public. J’ai finalement opté pour la nouvelle : c’est amusant et c’est court. En faire un roman, c’est possible mais j’ai peu de chance d’être lu.

Quant à l’écriture proprement dite, l’idée remonte déjà, quand j’étais élève au collège. J’aimais alors lire et écrire. Je crois que la motivation principale, c’était une sorte de frustration que j’ai ressentie en étant déjà adolescent. J’étais doué pour les langues, certes mais il me manquait quelque chose. Moi, je suis issu d’un milieu rural, j’ai conservé les traditions d’antan. J’ai tété Taqbaylit, la Kabylité en milieu naturel, au contact des miens ; elle fait partie de moi. A l’école, j’ai très tôt pris conscience du fossé qui existait entre ce que l’enseignant voulait que nous apprenions et ce que j’apprends dehors, dans la société. C’était deux choses différentes, opposées. Je me disais quand j’étais déjà au primaire que notre enseignant mentait ! Je crois que c’est de là, que me venait l’envie d’écrire, c’est une sorte de revanche sur l’histoire.

Et cela a donné naissance à Akal d Wawal. Y a-t-il d’autres projets d’écriture ?

Comme je vous l’ai dit, déjà au collège j’écrivais à ma façon, avec mes propres règles, je composais des poèmes, je transcrivais des contes, des histoires, je traduisais des textes du français au kabyle juste pour le plaisir. Je gardais toujours tout ce que j’écrivais ou traduisais. Arrivé au lycée, je m’intéressais à tout ce qui s’écrivait en tamazight, clandestinement d’ailleurs. Ce premier livre intitulé : Akal d wawal, un recueil de 11 nouvelles, édité par Tira de Bejaia, en juin 2009, est justement une version revue et corrigée de ce que je notais en étant adolescent. J’ai un autre roman traduit du français au kabyle de Driss Chraïbi, La mère du printemps- Yemma-s n Tafsut, à paraître, j’ai aussi un recueil suivi d’une étude sur "La poésie et les chants de guerre de la région des At Mlikech " (à paraître aussi en version bilingue français- tamazight) et un recueil de "Contes et de légendes de Kabylie", à paraître chez Flies France (Paris) prochainement, ceux-là, ils sont prêts.

Et comment expliquez-vous le choix de la langue maternelle (Tamazight) comme langue d’écriture ?
Et bien, j’ai déjà répondu en partie à votre question. Le choix de ma langue maternelle est d’abord un besoin vital. S’exprimer dans sa langue est tout ce qu’il y a de naturel. Ensuite, je me dis qu’il est temps de se réapproprier son identité, sa culture, sa personnalité. Écrire dans une autre langue autre que la sienne cela suppose, consciemment ou inconsciemment, volontairement ou non, des compromis, voire des servitudes. Pour preuve, il n’y a qu’à voir les écrivains algériens des années cinquante qui ont vécu ce problème avec acuité. Je pense que le choix de la langue est important. En plus, si l’on veut s’adresser aux siens, autant le faire dans leur langue, c’est une forme de respect. Je ne vois pas pourquoi j’emprunterais des faux-fuyants, des détours aussi vains qu’inutiles, d’autant plus que maintenant, tamazight est enseignée à l’école, donc le lectorat existe. En revanche, il n’est pas exclu d’écrire dans d’autres langues. D’ailleurs, je compte le faire
Pouvez-vous nous parler un peu du contenu de ce livre ?

Comme je l’ai déjà dit, il s’agit d’un recueil de onze (11) nouvelles de quatre à six pages chacune, destiné à un large public mais aussi (comme je l’ai expliqué dans l’introduction) à un public scolaire. Je suis parti d’un constat : les textes proposés dans les manuels scolaires ne répondent pas tous aux objectifs poursuivis. A titre d’exemple, il existe dans les programmes scolaires la typologie de textes. Mais les supports proposés ne répondent pas aux besoins exprimés, c’est pourquoi, j’ai essayé de satisfaire cette exigence en introduisant par exemple, les différents types de description : description statique, dynamique, historique et contrastive, ceci d’une part ; d’autre part, j’ai sciemment introduit un vocabulaire ancien qui est menacé de disparition. Mon objectif, est de sauvegarder ces mots dont les supports, les choses qu’ils désignent ne font plus partie ou presque du quotidien des Kabyles. Je peux citer le cas de tout le vocabulaire relatif au labour, à la vannerie et aux autres métiers anciens, les toponymes etc.

Quant aux histoires, la plupart appartiennent au patrimoine oral kabyle. J’ai gardé le fil, l’ossature, mais j’ai inventé tout l’habillage : les circonstances, les personnages, les lieux (les toponymes utilisés sont tous authentiques) et le temps.

Sont-elles des histoires vraies ou non ? Et où en est la littérature d’expression amazighe ?

Par définition, la littérature est de la fiction. Les onze histoires qui figurent dans ce recueil sont fictives, donc imaginaires. La littérature d’expression amazighe est, à mon sens, sur la bonne voie comparativement à d’autres langues et cultures plus prestigieuses. Eu égard à ce qu’elle avait subi depuis trois millénaires, je dirais que nous avons fait un pas de géant. En une décennie seulement, une cinquantaine de romans ont vu le jour, sans compter les recueils de nouvelles, les innombrables pièces de théâtre, les traductions, la poésie et les études (mémoires d’étudiants) rédigés entièrement en tamazight. Ce n’est pas négligeable pour une langue dont les contemporaines ont disparu depuis longtemps (je pense notamment au grec et au latin).

Quels sont les problèmes rencontrés en écrivant en tamazight ?

Oui, les problèmes existent effectivement et j’en suis conscient. Il ya des problèmes généraux communs à toutes les langues ici en Algérie. Tamazight surtout (et les autres langues aussi) souffre de l’absence d’une politique culturelle à même d’encourager l’écriture. Tamazight est d’abord victime de son statut officiel : c’est une langue qui est à peine tolérée. Inutile de cacher le soleil avec le tamis ! C’est une évidence. A l’école, elle est loin d’être généralisée, elle demeure encore et malheureusement facultative.

Ensuite, se pose le problème de l’écriture elle-même, du lectorat (qui demeure encore restreint), de l’édition et de la distribution. Il existe des initiatives par ci et par là, mais cela demeure, à mon avis, insuffisant même si mon livre a été édité avec le soutien du ministère de la Culture.

Des projets d’écriture ? Verra-t-on d’autres livres prochainement ?

Oui, j’ai beaucoup de projets et sur lesquels je travaille déjà. D’abord, sur le plan littéraire, j’ai des projets d’écriture (romans, nouvelles, traductions). Je suis déjà sur un autre recueil de nouvelles en kabyle. Je viens de remettre à mon éditeur un récit. C’est une traduction, il paraîtra en version bilingue- français- Tamazight. C’est un projet monté dans le cadre du PANAF 2009. Il s’agit d’un livre d’une écrivaine gabonaise Justine Mintsa, intitulé : Mes Premières lectures, un récit destiné aux adolescents. Sur le plan pédagogique, je me joins à un groupe d’enseignants et d’inspecteurs de Tamazight pour créer un centre de recherche pédagogique à Béjaïa, projet déjà très avancé. Nous avons projeté de créer une revue et un centre de documentation pédagogiques. Nous invitons, à l’occasion, toutes celles ou tous ceux qui sont en mesure d’apporter leur contribution, à se rapprocher de l’association CERPAM (Centre de Recherche en Pédagogique Amazigh) créée à cet effet. Pour ce faire, nous avons programmé aussi des journées de formation en recherche-action, des colloques, des séminaires en collaboration avec l’université Paris 8 avec laquelle nous travaillons depuis janvier 2007 à ce jour.
Présentation de l’auteur : Djamal Arezki est né à Tazmalt en 1966, Inspecteur de français à Bouira et enseignant de tamazight à l’université de Bouira. Titulaire d’une maîtrise (Master 1) en lettres modernes obtenue à l’université Paris 8.

Par Achiou Lahlouh, La Dépêche de Kabylie

mercredi 9 septembre 2009

Littérature : « Les derniers Kabyles » partent sans testament


Une pause. Il nous faut une pause et de suite. Les choses vont vite, si vite qu’à peine nous avons le temps de saisir toutes les mutations. Nous sommes dans la conséquence pure. Seul le moment présent et éphémère décide du cours de nos jours. Nous courrons dans tous les sens sans buts précis sinon ceux d’assouvir nos désirs primaires et d’accéder à des conforts égoïstes. Mais comme le dit le proverbe kabyle : « Il voulait voler comme la perdrix ; il a perdu la démarche de la poule. » Car à trop vivre le seul présent, à trop vénérer le désir, à trop courir derrière le confort égoïste nous voilà réduits à des individus sans âmes, à des déracinés sans repères et à un peuple qui végète sur les bas cotés de la civilisation en attendant sa disparition éminente. Le proverbe est bien approprié pour inaugurer « Les derniers Kabyles », premier roman de Rachid Oulebsir, paru le mois de juillet 2009 aux Editions Tira, en Algérie.

Enfant du pays avant tout, ancien enseignant et journaliste, Rachid Oulebsir nous propose ici une histoire réaliste fondée sur l’observation minutieuse et une critique lucide de la société kabyle d’aujourd’hui. Articulé autour de 12 parties et des sous-chapitres simplement numérotés à la manière kunderienne, « Les derniers kabyles » est le récit d’un fonctionnaire kabyle qui a fait le choix de renoncer au « confort » d’Alger, la capitale, pour revenir s’installer dans son village natal, Ighil, dans l’aârch des At Melikeche, une importante communauté de villages de Basse-Kabylie dont le chef-lieu est la commune de Tazmalt. Ce roman qui s’appui sur des éléments autobiographiques essentiels est remarquable à deux égards : D’abord par son écriture qui est d’une fluidité exemplaire ce qui renseigne sur l’esprit de son auteur et sa générosité, ensuite par son sujet : « Les derniers kabyles » est un état des lieux de la Kabylie d’aujourd’hui. L’auteur n’aborde pas les problèmes politiques que connaît la région ni même ses revendications identitaires millénaires mais interroge les kabyles eux-mêmes, sur ce qu’ils étaient et ce qu’ils sont devenus dans leurs modes de vie. Je dirai même qu’ils leur demande des comptes ! N'est-ce pas juste de rendre des comptes quand on n’a pas su garder son héritage?


Le roman est écrit à la première personne du singulier mais le narrateur reste discret, presque à la marge. Ici, ce n’est pas le « Je » qui nous renseigne sur la réalité de la Kabylie mais plutôt les personnages secondaires. A travers les trajectoires de chacun d’entre eux l’auteur parvient à cerner son terrain et à poser une problématique qui dépasse le cadre stricte de son histoire : Qu’est-ce que la modernité ? Est-ce qu’être moderne signifie avoir une grande maison, une voiture et de l’argent ? Est-ce qu’être moderne veut dire couper les ponts avec la tradition ? Est-ce qu’être moderne c’est vivre en ville ou à l’étranger d’où l’on réduit son village au simple vocable négatif de « bled » et ses gens d’« arriérés » ? Est-ce cela la modernité ? Car dans les villages qui constituent la Kabylie ne « subsistent que les vieillards, des pièces de musées que la mort visite en irréductible kleptomane pour soustraire les uns après les autres les lots de valeur. Le musée fermera tôt ou tard. Restent des enfants auxquels des maitres moyenâgeux distillent la peur du jour, la haine du jeu, le refus de la vie, l’incertitude de l’avenir et l’inévitable châtiment divin.» (p.29) Nous serons des sans âmes ou tout au mieux des êtres anonymes. Et c’est ici que le titre trouve son sens. « Les derniers kabyles » sont ceux et celles qui font vivre encore la Kabylie telle qu’elle a toujours était : besogneuse, chaleureuse, généreuse, joviale et foncièrement jalouse de ce qu’elle a et toute fière de ce qu’elle est. Et ces Kabyles là sont en voie de disparition. Après eux ne subsistera qu’un univers sans couleurs ni senteurs, un univers ou le vivre ensemble n’aura presque aucun sens. Des valeurs Kabyles: Amar-Touil, l’un des personnages du roman rappelle ce que être Kabyle : « Le Kabyle qui ne réalise pas sa maison n’est pas un homme, dans nos valeurs. Edifier son logis, gagner le pain de ses enfants, protéger sa femme, mettre en valeur ses propriétés et participer à Tiwizi, l’effort collectif, voilà entre autre les fondements de la kabylité. Le Nif c’est tout ce qui rentre dans les relations avec autrui : payer ses dettes, racheter les terrains des ancêtres, défendre le village, honorer la région, sauver l’orphelin, et protéger la veuve ou l’handicapé. La Horma c’est ce qui touche à l’intérieur : combler sa femme, protéger ses filles par l’éducation, définir son territoire, sa maison, et préserver l’intimité, défendre les siens contre tout prédateur. Le fusil est le moyen de défense du Nif et de la Horma. » (p.68) Le roman prend toute sa profondeur à partir de là. L’univers kabyle et son imaginaire sensoriel est conté par l’auteur comme pourrait le faire une vielle de Kabyle du début du XXème siècle : avec tendresse et hardiesse.



Via ses personnages, Rachid Oulebsir nous rappelle qu’être Kabyle c’est avant tout se réaliser par la seule force de ses bras et de son intelligence. Ensuite, être kabyle c’est savoir vivre en communauté, savoir aider et donner comme on reçoit. Etre kabyle, enfin, c’est s’attacher à la terre, l’aimer et la travailler ce qui exige la sauvegarde de ses métiers et de ses savoir-faire. Car de tout temps c’est la terre qui a procuré aux Kabyles tant d’autonomie et pour laquelle ils ont toujours combattu. Avec une rare curiosité, l’auteur fait défiler devant nous tous les artisans des temps anciens qui ont été aux fondements de la cohésion sociale et de l’équilibre entre l’homme et la nature: dinandiers, potiers, chevriers, forgerons, bergers, bijoutiers, tisserandes…etc. C’était avant, bien avant que le développement durable ne devienne un thème politique et donc électoral ! Que reste-t-il de ces métiers et de cette façon d’être, aujourd’hui ? Aïcha Varzaq, un personnage féminin du roman et qui incarne toute la sagesse de son sexe répond : « Tala (la fontaine) est silencieuse, le verbe s’assèche, la langue se perd, les murs craquent, les poutres sont vermoulus, la galette sent le brulé, le métier à tisser sont accrochés, les jarres des aïeux sont exposées sur les grandes routes, les abeilles refusent de butiner, les oiseaux ne chantent plus, les vaches ne vêlent plus, les filles vieillissent sans trouver de prétendants, les garçons ont peur de fonder leur foyer, la vie s’arrête ! Il nous reste Sidi-Lmoufaq –un Saint d’At Mlikeche- pour amortir notre descente aux enfers ! » (p.128) Plus loin L’Hacen-l’ancien, un autre personnage précise : « Les salaires de l’Etat, les pensions et les mandats d’émigrés, ont crée d’autres valeurs sociales, d’autres étalons de mesure. Le travail, l’effort, la créativité ne sont plus des espaces de vitalité. C’est la consommation, le gain facile, les petits métiers, voir les conditions illicites qui sont devenues des terrains de concurrence, de rivalité. C’est à qui se vendra le mieux. Le Nif et la Horma sont à présent des thèmes de chansons pour Idhebbalen, les tambourinaires. » (p.186)


La disparition des métiers: Le passage de l’ère agricole à l’ère industrielle s’est fait brutalement. Et pourtant aucun ne s’est posé la question de la nécessité même de ce passage. C’était dans l’ère du temps voilà tout. La mondialisation ou plutôt l’uniformité de la pensée et du mode de vie n’avait pas attendue l'ère de l'internet ! Au final, la culture populaire, les traditions et les savoir-faire ont été sacrifiés au profit de quelques routes, d’un salaire mensuel et de l’électricité. L’exode vers les villes à achevé le reste de la vie sociale et culturelle à l’ancienne. Ceci a été, d’ailleurs, parfaitement étudié par les sociologues Pierre Bourdieu (1930-2002) et Abdelmalek Sayad (1933-1998) juste après l’indépendance du pays et leur étude s’est soldée par « Le déracinement », un excellent livre de sociologie rurale paru en 1964 aux Editions de Minuit.

En Kabylie aujourd’hui même l’architecture des maisons ne tient plus compte de l’impératif social. Il n’y a plus de limite entre l’espace d’habitation et l’espace d’activité. Les cités d’habitations construites par l’Etat ou les entrepreneurs achèvent ce qui reste de vie de communauté. Quant aux particuliers chacun improvise à sa manière. De nos jours la mode est de construire le long des routes existantes pour y ériger des garages à louer pour des tôliers, des mécaniciens, des gargotiers et autres dépanneurs. Le village en tant qu’espace de vie sociale tend vers la disparition. Tout est linéaire, en longueur et où l’espace de rencontre et d’échange n’est pas prévu. Le confort matériel individuel engendré par « la modernité » ont permis à chacun d’avoir une voiture et un salaire soit au pays soit à l’étranger. Le travail des champs et l’artisanat n’échoient qu’aux pauvres qui n’ont aucune alternative ! Hand Amazigh, un autre personnage du roman, illustre la décadence culturelle qui s’en suit : « Quand l’arbre dessèche, les mots qui désignent ses racines, son tronc et ses branches meurent aussi. Quand un animal d’une espèce quelconque disparaît, son nom sera oublié, inévitablement. Le labour avec la pair de bœufs dressés est exprimé par un lexique très riche qui dépéri avec les derniers araires et les jougs de bois dur. » (p.197). Hand Amazigh a raison. Du temps de nos grands-parents même les discussions étaient illustrées de fables, de proverbes, de maximes pleines de sagesse et d’enseignement. Echanger avec un de nos anciens est un privilège dont nous nous rendons compte qu’après leur disparition. Voilà « La Civilisation, ma Mère !... », pour reprendre le titre d’un roman célèbre de l’écrivain marocain Driss Chraïbi (1926-2007.)



Rachid Oulbsir insiste beaucoup dans son roman sur l’importance des métiers dans la cohésion sociale et dans la sauvegarde de la culture régionale. Observons ce dialogue entre des personnages du roman autour du pressoir d’olives traditionnel :


« -Les vieux moulins font partie de l’âme kabyle (…), dit Malek


- L’idéalisation du vieux pressoir d’Aristée ne tient malheureusement pas devant les analyses de laboratoire (…), affirme Takfarinas-Les paysans n’ont cure des arguments techniques (…) les raisons ne sont pas que culturelles et sentimentales. Ils refusent que la machine sans âme les délestent de leur savoir-faire, assène le respectable Aïssa.


-Le vieux moulin faisait travailler beaucoup de monde. En plus de l’équipe des de gaillards qui s’occupait du pressoir manuel, il faisait appel aux services du scourtinier qui tisse les sacs plats en fibres végétales, au tailleur de pierre qui refait le champs de la meule, au maitre huilier qui goutte et classe les huiles, au bucheron qui fournit le bois pour la chaudière, au savonnier qui emporte le grignon pour fabriquer du savon, aux simples ouvriers qui déchargent les olives et qui emplissent la piste de broyage ! explique Tahar-le-borgne (...)


-Le vieux moulin avait un pouvoir structurant très important. Le maroquinier qui produit des vêtements et des tabliers de cuirs était sollicité. Le dinandier fournissait de son coté tous les ustensiles de conservation et de mesure, litre, décalitre, ensuivre ou en laiton. Toute une noria de métiers tourne autour du vieux moulin de pierre et de bois ! ajoute Amar-Touil » (p.268)


La mort absurde des civilisations:


Nous le voyons bien : l’homme était au centre de l’économie traditionnelle. Dans le cas du pressoir d’olive traditionnel au moins 10 métiers artisanaux étaient sollicités ! Mais la modernisation des outils de production a achevé tous ces métiers au profil d’une seule machine qui fait tout. Au-delà de la main d’œuvre réduite, la machine a éliminé le lien social comme fondement de la vie de société et en cela Rachid Oulebsir pose avec lucidité la question du sens que peut avoir aujourd’hui le travail dans nos sociétés. Car lorsque le travail est dépourvu de sa dimension sociale, il devient une corvée ou une forme d’esclavage.


En Kabylie, l’abandon des métiers a entrainé une dépendance accrue aux nouveaux modes de production et de consommation et ceci a remis en cause l’autonomie ancestrale qui a toujours caractérisée ses habitants. Cette dépendance a eue aussi pour effet « la privatisation de l’individu » pour reprendre le philosophe grec Cornelius Castoriadis (1922-1997). C'est-à-dire que ce qui constitue le centre de la vie de nos jours est l’individu et sa petite famille et non pas la communauté au sens général. L’absence d’échange qui en découle entraine la pauvreté de communication, la disparition de la langue, des rites et des traditions qui font la spécificité de ce peuple. Rachid Oulebsir est, d’ailleurs, parti d’une question toute simple pour construire son histoire : qu’est-ce qu’être kabyle aujourd’hui ? Car, «de nos jours, le Kabyle perd son identité sans en acquérir une nouvelle. Il se dépersonnalise, ce qui fait de lui un ballon shooté entre l’Orient et l’Occident», répond Tahar le borgne, un autre personnage du roman.


« La modernité » entendue comme confort individuel, mécanisation et uniformisation du mode de vie et de pensée a eu raison de ce peuple qui a su défier le temps. La négligence de ses membres en est une autre raison. Au chapitre 12 -le dernier- Rachid Oulebsir illustre la vie des Derniers kabyles par une image à haute charge symbolique : l’arrivée de l’électricité au village d’Ighil, ce qui symbolise « la modernité » et la mort le jour même de la doyenne des villageois, tante Adada. « Elle nous quitte alors qu’arrive l’électricité ! » remarque Amar-Touil (p.338). « Heureuse Adada, elle ne vivra pas notre déclin, notre déchéance ! » affirme Aïcha. (p.341) C’est la modernité uniformisatrice qui met fin au monde des anciens !


La disparition des métiers, le peu de considération pour le Nif et la Horma, l’individualisation et la folklorisation de notre patrimoine ancestral ne sont pas pour autant des éléments d’une œuvre pessimiste. Ils sont les éléments d’une œuvre réaliste qui dissimule beaucoup d'espoir. A travers son regard juste et plein de générosité l’auteur invite les Kabyles à un moment de réflexion profond et, au-delà, c’est toute l’humanité qu’il interpelle sur l’importance des cultures, de la diversité et des couleurs humaines dans le monde. Le texte de Rachid Oulebsir me rappelle, ainsi, un autre texte de Mouloud Mammeri (1917-1989), "La mort absurde des Aztèques" qui a inauguré son œuvre "Le banquet" (1973), un texte dans lequel il adresse cette mise en garde à toute l'humanité: « Les Aztèques c’était hier, nous vivons encore l’aventure qui les a vu combattre et disparaître. Leur histoire est la nôtre. Ils n’ont eu que le privilège fatal de venir les premiers et de s’offrir sans ruse et sans paravent aux coups d’un destin dont nous subissons encore les arrêts. Ils offrent la version nue d’une tragédie devenue planétaire : tous maintenant nous savons que nous sommes mortels, qu’il faut soutenir à bouts de bras l’univers, pour l’empêcher de sombrer dans les retombées délétères d’une fission d’atome qui n’est que l’image de la fission de notre raison (…) Désormais toute différence que nous effaçons –par quelque moyen que ce soit- est un crime absolu : rien ne la remplacera plus, et sa mort accroit les risques de mort pour les autres. » Oui, toute différence que nous effaçons rien ne la remplacera. Rien.


Hakim AMARA

P/S .Rachid Oulebsir a publié aussi en juillet 2008, aux Editions l'Harmattan, un essai intitulé "L'olivier en Kabylie, entre mythe et réalité"








samedi 2 mai 2009

Fête de l’agriculteur à Tazmalt

Une première réussie

Dans l’optique de provoquer un déclic et afin de mettre en valeur son potentiel agricole, et notamment oléicole, l’association des fellahs de Tazmalt et d’Ath Mellikeche Tazarajt, sous le haut patronage du wali et en collaboration avec les autorités locales, a organisé du 29 avril au 1er Mai dernier la première fête de l’agriculteur de la Soummam, au CFPA de Tazmalt.

Un programme riche est varié a été concocté pour l’occasion : des expositions-ventes, des conférences-débats, un gala de boxe, des projections de films-documentaires… etc. Cette manifestation a permis de cerner beaucoup de problèmes, dans lesquels se débat l’oléiculture dans la daïra de Tazmalt. Avec une oliveraie de 14 578 ha, soit 28,92% du verger oléicole de la wilaya de Béjaïa, l’huile d’olive à Tazmalt peine à se faire une place au soleil. Les professionnels estiment que le problème de fond réside dans la non organisation des oléiculteurs en groupement ou en coopérative à même d’exporter l’huile d’olive de la région, que l’on qualifie de très bio. Il y a du chemin à faire, estime-t-on, pour amarrer notre oléiculture aux normes internationales et pour pouvoir parler d’exportation.

Et pour cela, il faudra des moyens et le concours de l’Etat, comme s’accordent à le faire remarquer les agriculteurs et les autorités locales. Pour le maire de Tazmalt, Amara Bouzid, « l’Etat n’a pas crée des coopératives dans la région afin que les huileries commercialisent leur produit oléicole. Elles ont du mal à l’écouler ». « Notre place est sur le marché international » nous déclare, pour sa part, le président de l’association organisatrice, Moncef Hamimi, qui dit avoir exporté « vers la France, entre 2000 et 3000 litres d’huile d’olive, répondant aux normes internationales ». Le constat est affligeant pour l’oléiculture dans la commune de Tazmalt qui a fait des bonds en arrière, et c’est pour tenter de redresser un peu la barre que les agriculteurs de la région s’organisent. Durant la période coloniale, beaucoup d’oléiculteurs ont exporté vers la France notamment, et ont reçu des médailles dans les différents concours organisés.

« Depuis la nationalisation, en 1963, de l’exportation de l’huile d’olive, nous avons perdu notre marché extérieur » dit Rachid Oulebsir, auteur et ancien journaliste, dans une conférence, tenue en marge de cette Fête de l’agriculteur et qui a eu pour thème « Situation de l’olivier et de l’huile d’olive en Algerie ». Le conférencier a déploré « la perte du savoir-faire ancestral concernant l’oléiculture ». L’auteur de « l’olivier de Kabylie, entre mythe et réalité » a affirmé que « nos fellahs sont capables de produire une huile extra-vierge » en citant l’exemple de l’huilerie Belbachir qui a produit une huile extra-vierge à 0,1% d’acidité. La bonne qualité de l’huile d’olive requiert un certain nombre de conditions que les producteurs doivent respecter scrupuleusement. Les pratiques actuelles, qui tendent à laisser moisir les olives des semaines avant de les presser, augmentent, selon des conférenciers, l’acidité de l’huile d’olive, ce qui se répercute négativement sur sa qualité. « Le mieux est de presser la récolte 48 heures après, et de stocker l’huile dans des récipients en inox, pour diminuer son acidité » affirment-ils.

In El watan du 03/05/2009 ,Par K.Ait Kaci

Voir aussi...
Edition du 13 juin 2005Commerce d’huile d’olive
Edition du 17 février 2008Vers la labellisation de la région
Production et commercialisation de l’huile d’olive
Edition du 17 mars 2009Une huilerie « intelligente » à El Hdada
Edition du 5 janvier 2005Vers la labellisation du produit local
Edition du 14 octobre 2005Guelma
Edition du 16 février 2009L’huile d’olive à 350 DA
Edition du 9 mars 2009Récolte et trituration des olives à Guelma : De l’or vert mal exploité
Edition du 6 février 2008Les producteurs demandent de l’aide
Edition du 4 avril 2009Loin des normes de qualité
Edition du 16 novembre 2008L’olive et la bonne huile arrivent